Sevim Riedinger : un pont entre l’enfant et l’adulte

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Sevim Riedinger interviendra lors du colloque Humanité, Dignité, Responsabilité le 12 juin 2021. Elle reçoit des enfants depuis quarante ans en psychothérapie. Lors de ses consultations, elle constate les dommages venus du monde des adultes qui pèsent sur les petits. Mais elle entend surtout les enfants et les réponses poétiques qu'ils trouvent pour adoucir la réalité. Peu à peu, ils lui entrouvrent la porte de leur monde secret. Ils la bousculent, la vivifient et réveillent en elle la part de sacré que nous portons tous.


un livre qui nous porte vers l’essentiel

anthroposophie le sacré et l'enfant

Comme toutes les œuvres susceptibles de nous toucher profondément, Le Sacré et l’Enfant est un livre qui nous porte vers l’essentiel sans sophistication. Le plus simplement du monde, Sevim Riedinger nous implique littéralement dans des situations existentielles au fil de récits qui décrivent des épisodes de thérapies avec des enfants en difficultés. On est frappé par la finesse des observations : la couleur des cheveux, l’éclat du regard, l’intonation de la voix, l’expression des gestes…

Un mode d’observation objective-sensible qui se refuse d’emblée à la facilité des interprétations. Ce faisant on se retrouve, tout comme la thérapeute, associé et relié au vécu intérieur des enfants. On ne trouve pas trace d’un jugement « d’adulte raisonnable », mais seulement de l’empathie envers les comportements dits problématiques de Sébastien, Alicia, Hugo, Elodie, Octave, et beaucoup d’autres.

réveiller l’enfant qui sommeille en nous…

Cet art de la narration nous mène à nous identifier, il nous dirige vers ce qui est la thèse du livre : toucher et réveiller l’enfant qui sommeille en nous. L’auteure, inspirée des conceptions jungiennes, évoque au fil de son ouvrage les spiritualités des origines, mythes universels, légendes et autres récits d’aventures. Avec elle, on se replonge dans les tableaux imaginatifs de Gilgamesh, le Cantique des Cantiques, les Upanishad, la Table Ronde, l’Odyssée, Don Quichotte, les Evangiles et divers auteurs tels Khalil Gibran, Rumi, Mircea Eliade, Rilke, Saint-Exupéry, Maurice Zundel, Etty Hillesum, et bien d’autres encore.

Cependant son objet n’est pas d’étaler des références à une culture ouverte et savante. L’auteure aborde ces grands récits avec la sensibilité, l'imagination qui perçoit le dedans. Par son talent de narratrice, elle nous amène à percevoir le souffle qui traverse les grands textes. Le regard se tourne vers cet essentiel, nous invite à nous y relier. Y participant, il nous rend tangible ce qui anime ces quêtes de sens : accomplir un voyage extraordinaire, marcher entre pertes, défis et conquêtes, c’est voyager vers soi-même.

Celui qui en nous aussi voyage, s’aventure, recherche et grandit, il nous relie au mode de l’enfant. Le souffle qui vit dans les grands mythes, celui qu’on peut encore sentir vibrer en soi, il est consubstantiel à l'âme enfantine. Là réside le sacré. C’est dans cet espace spirituel que vit l’âme des enfants, encore tout imprégnés du monde de nos origines. La pensée magique est pour eux une réalité qui nous invite à redécouvrir le magicien qui est en nous.

émerveillement, étonnement, nous ouvrent…

C’est avec ce tact que l’auteure nous amène à aborder le domaine du sacré : non par la formule d’une définition, par des explications, mais en orientant le lecteur vers un ressenti, la présence d’un mouvement intérieur, l’ouverture d’un espace dans l’intime. A cette fin, pas encore de méthode, pas de système, mais des conditions requises : l’émerveillement, l’étonnement, nous ouvrent à la dimension sacrée de l’existence. C’est un processus. Il s’agit de guetter, d’être attentif au « moment où la pensée devient contemplation : elle n’abdique pas, elle se transforme, se rend apte au sacré ».

Dans sa manière de raconter l’expérience enfantine, l’auteure en arrive à troubler les limites franches que nous avions appris à établir entre l’enfant et l’adulte mature, et nous saisissons mieux comment chaque épreuve de vie nous invite à naître une seconde fois, à partir d’en-haut. En cela, l’enfant se révèle être notre guide. C’est ainsi que ce livre sur le sacré et l’enfant se révèle être une clé qui ouvre au lecteur une porte du cheminement vers soi-même.

Retrouver l'esprit d'enfance c’est se relier à ce que nous possédons en fait déjà :  force poétique, émerveillement, esthétique de nos perceptions, ouverture au monde, sont les appuis puissants pour l’élan de dépassement, tant chez l’adulte que pour l’enfant. La thérapeute nous indique avec délicatesse où l’on retrouve en soi les racines du sacré ; c’est une source qui nous relie sans faillir à notre propre guérisseur intérieur. C’est bien du geste thérapeutique qu’il est question.

Aux injonctions des certitudes, elle préfère les peut-être : « Peut-être que l’enfant paraît pour nous rappeler, à nous adultes… » Délicatesse, encore, quand elle évoque ses propres moments de doute ou d’épuisement, où elle cite alors Paul Ricoeur : « Le fond de l’existence, c’est la puissance d’affirmer, la puissance de dire oui aux sources de la vie face à la mort, oui aux ressources de la vie face à la mort, oui aux ressources du sens à l’insensé. »

un regard dans ce monde de l’au-delà du visible…

Cependant, en toute humilité, Sevim Riedinger nous propose rien de moins qu’un regard dans ce monde de l’au-delà du visible qui est pourtant le nôtre. Par l’art de ses récits, descriptions de situations concrètement vécues, elle nous révèle comment l’âme enfantine nous dirige dans ce monde de symboles vécus en lien avec le corps, qui nous donne accès à un univers dépassant les limites d’une vie entre la naissance et de la mort. On peut dire que Sevim Riedinger ne lit pas dans les enfants, mais elle lit les enfants.

Les lecteurs familiers d’ouvrages anthroposophiques y retrouveront les notions fondamentales évoquées par Rudolf Steiner : une spiritualité qui se laisse étonner par l’univers de l’âme, chez l’enfant et l’adulte ; qui met en lumière les valeurs qui nourrissent l’existence humaine ; qui ouvre les voies de l’art et du développement avec les ressources mais aussi les dangers de la perception imaginative. Ils retrouveront le motif premier de toute cette recherche : le souci profond pour l’autre, dans cette ambiance de confiance où le « ce que tu es m’importe » se montre agissant.

Le message du livre réapparaît clairement dans la conclusion avec l’invitation à retrouver l'enfant en nous : « Redonnons du sens à cette extraordinaire puissance créative et poétique, qui souffle mystérieusement en chacun de nous ».

Alain Tessier

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