Des virus et des humains
Nous publions ici un article édifiant d'une médecin anthroposophe qui met en lumière ce que peut être l'apport spécifique de l'anthroposophie sur la nature du/des virus. Ce texte a le mérite de ne pas requérir des savoirs disciplinaires préalables. Son auteur y expose avec clarté comment l'anthroposophie s'exerce en tant que démarche de connaissance élargie tout aussi méthodique que les autres méthodes scientifiques.
Il en ressort une possibilité d'élever nos regards vers des conceptions vivantes qui intègrent l'homme dans l'univers et les observent comme un tout.
Des virus et des humains.
Un regard anthroposophique à la compréhension d’une interaction millénaire.
Par Hernando Salcedo Fidalgo MD, Msc.[1]
Bien des questions surgissent sur les causes et les conditions de la pandémie du Covid 19 qui se construit comme une crise sociétale profonde.
L’acteur central en est « le » virus. C’est ainsi en tout cas que le problème est posé par la science positiviste contemporaine fondée sur une vision matérialiste. Depuis le début de la pandémie, quand les premiers cas furent reportés à Wuhan en décembre 2019, la question sur la présence et sur les effets du virus vis-à-vis de l’espèce humaine a été posée. La diversité des hypothèses sur ce passage d’une espèce animale à l’être humain (en termes scientifiques : zoonose) a alors donné prise à toutes sortes d’allégations complotistes et à des manipulations médiatiques. Nous voilà immergés dans un espace conceptuel d’incertitudes et de doutes face auquel les discours scientifiques n’ont pas répondu avec clarté ou n’ont pas pu répondre en termes compréhensibles aux divers publics.
Nous voudrions ici contribuer à la compréhension de ce que sont les virus et ce que signifie une épidémie d’infection virale. L’usage d’outils conceptuels propres à la pensée anthroposophique et à ses démarches épistémologiques permet de poser les bases d’une discussion qui élargit les vues de la science matérialiste dominante.
C’était déjà une proposition de Rudolf Steiner en 1923 :
« Rien ne sera dit ici contre la théorie bactérienne qui dans une certaine mesure est très utile. Dans les diverses manières dont les bacilles surgissent ici ou là, on peut naturellement découvrir beaucoup de choses ; à des fins de diagnostic, on peut généralement obtenir beaucoup d'informations. Je ne veux nullement dire quoi que ce soit contre la médecine officielle, si ce n’est qu'elle a besoin d'être élargie et développée davantage lorsqu'elle arrive à certaines limites - et elle peut être développée davantage lorsque les points de vue de l'anthroposophie peuvent lui être appliqués. »
GA 319, Conférence à Pennmenmawr, le 28 août 1923.
A l’instar de Peter Heusser[2], nous proposons de suivre une base scientifique propre à l’anthroposophie pour expliquer des phénomènes liés à la santé collective, à l’intégration de pensées et de pratiques plus ajustées à la complexité des phénomènes de la vie humaine et planétaire.
La difficulté de la définition des virus.
Tenter de définir ce qu’est un virus est une des difficultés traditionnellement partagées par ceux qui étudient les sciences de la vie. On retrouve cette difficulté dans la proposition de Wikipédia, espace de construction collective validé par les usagers : « En biologie, un virus est un agent infectieux microscopique acellulaire qui ne peut se répliquer que dans les cellules d'autres organismes. Les virus sont constitués de gènes contenant des acides nucléiques qui forment de longues molécules d'ADN ou d'ARN, entourées de protéines[3]. »
Le virus, cette entité nommée à partir du terme latin de poison ou venin, n’est pas classable d’emblée parmi les êtres vivants : sa capacité de reproduction, donc de réplication, ne lui est pas inhérente, il a toujours besoin pour cela d’une cellule-hôte pour le faire. Un virus peut ainsi exister en tant que particule inerte, en tant qu’ensemble de protéines hébergeant un fragment de matériel génétique (donc un Acide Désoxyribo Nucléique ou ADN, ou un Acide Ribo Nucléique ou ARN). Ces molécules inertes peuvent perdurer dans le temps, telles du sable, un cristal ou des pierres. Elles n’acquièrent une capacité de reproduction que si elles investissent une unité de vie, une cellule par exemple. Elles utilisent et capturent alors la « machinerie » enzymatique et métabolique de cette unité, pour faire émerger des répliques d’elles-mêmes, avec un impact délétère sur ces hôtes. C’est ainsi que cette réplication virale peut avoir lieu chez des êtres unicellulaires ou pluricellulaires, mais dans tous les cas elle a besoin d’eux, de leur « force de vie[4] ».
Comment un ensemble de particules inertes se rend-t-il à la vie ? Voilà une des questions les plus passionnantes que les virus posent aux chercheurs sur les systèmes de vie.
Entre la réplication et l’émergence
La problématique des parties au sein d’un tout est abordée par P. Heusser (op. cit, p. 83) et par R. Steiner[5] sous l’angle présenté comme « l’émergence ». L’émergence : une caractéristique qui fait que à partir de corps physiques, indépendants et à qualités différentes, peut « émerger » un tout qui n’est ni l’un, ni l’autre. Un exemple simple : du minéral sodium et du gaz chlore, émerge l’entité sel de cuisine, un cristal cubique, nommé chlorure de sodium. La science positiviste matérialiste décrit cette émergence à partir de l’expérience, comme étant un résultat de la coprésence des entités initiales (à savoir le sodium et le chlore), mais elle n’explique pas le phénomène. En d’autres termes, la science qui se limite à des vues matérialistes confond la description avec l’explication, sans caractériser pour autant la qualité du principe d´émergence. Pour beaucoup de phénomènes relatifs à la vie, ce principe d’émergence reste sans explication.
Le modèle de la science matérialiste décrit simplement un passage d’une condition à une autre par son observation, qui peut être d’ordre expérimental. Or, quand nous abandonnons cet ordre qui réduit les parties au tout et inversement, et que nous adoptons l’observation appuyée sur l’expérience sensorielle elle-même, sur le vécu de cette expérience, que se passe-t-il ? C’est alors la condition du regard lui-même, sa qualité, qui changent. C’est ainsi que procède la méthode de Goethe. Le goethéanisme est une démarche : la phénoménologie goethéenne, qui nous permet de voir le phénomène intuitivement et pas seulement à travers les sens, est une phénoménologie herméneutique de la nature. En d’autres termes : le réductionnisme procède du haut vers le bas (déductivement), il prétend expliquer les fonctions par la structure en la dépliant et en la découpant en parties, mais en réalité il ne le fait pas : il décrit. En ce sens, on doit admettre que la science matérialiste n’explique rien sur la nature « vivante » d’un virus, sur sa qualité, elle décrit seulement – et ingénieusement - son passage à « l’état vivant » sans l’expliquer. Mais alors, où est cette essence de vie qui fait que les particules inertes de cette structure virale deviennent une forme de vie qui se reproduit et qui altère par sa capture le vivant original préalable ?
L’être vivant invisible
Par ses propres recherches, au fil de ses écrits et conférences et dans l’état des connaissances de son époque, Rudolf Steiner a posé les bases d’une compréhension intégrale de l’être humain[6]. Ces bases reprennent l’idée que l’être humain est bien composé de matières physiques, mais que l’organisation de ces substances est déterminée par des forces « du vivant », elle lutte contre l’état minéral qui ne retrouve sa forme que dans le cadavre et par la mort. En arrière-plan de tout être humain vivant, se trouve ainsi agissant un être invisible, en rapport direct avec des structures anciennes de son existence (par exemple avec des tissus perdus au moment de la naissance, tel le chorion, le sac amniotique et l’allantoïde) : « Nous avons donc en nous un être humain invisible qui est contenu dans nos forces de croissance, dans ces forces cachées régissant les phénomènes de nutrition [7] ».
Les outils du réductionnisme qui aboutissent à la description des corps physiques en sous-parties, du haut vers le bas, ne suffisent pas pour expliquer les phénomènes de la vie. Il faut ainsi procéder par d’autres méthodes, comme l’approche goethéenne, du bas vers le haut (inductivement). Il faut y inclure la question et la recherche de cet invisible qui est en nous et dans d’autres êtres vivants, pour accéder par son observation expérientielle à l’essence organisatrice du vivant.
Revenons au cas du virus qui occupe de plus nos préoccupations actuelles. Nous voyons s’activer un système de vie là où il n’y avait que particules inertes par une force non mise en évidence par l’expérience courante de la science conventionnelle. Mais pour sa part, l’approche anthroposophique nous rend attentifs à des constituants fonctionnels. Au moyen de termes qui demandent à être clairement définis et saisis eux aussi de manière vivante, cette anthropologie considère un corps physique soumis à l’influence d’autres « corps », désignés ici sous les vocables d’éthérique, astral et Moi. Par cette voie, nous accédons à la recherche sous un nouvel angle, à l’idée que ces particules inertes virales s’envolent vers la vie. Elles émergent vers l’état vivant par l’accouplement avec le corps éthérique cellulaire, qui est alors capturé par la machine inerte. C’est juste le phénomène inverse de ce que la science d’orientation matérialiste a tendance à dire.
Et si les virus capturaient « l’astral » ?
Il y a quelques cent ans, R. Steiner a émis une hypothèse concernant les épidémies, l’explosion de la réplication de microorganismes, dont les virus font partie. En termes de causalité, elles ne seraient pas dues à ces virus eux-mêmes, mais permises par leur accès à une « communauté astrale », c’est à dire à un ensemble de conditions qui mettent en commun des forces à l’encontre de la santé et du bien-être. Josef Graf rend compte de ce phénomène dans un très bel article paru en ligne en 2020, intitulé « Coronavirus — Meeting Covid-19 head-on with Anthroposophy »[8], où il affirme : « L'origine du Covid-19 est probablement due à l'avilissement du champ astral général de la région (et de nombreux habitants eux-mêmes) en raison de la souffrance des animaux. L'agriculture industrielle massive en Chine dégrade depuis un certain temps la qualité de vie des animaux[9]. »
C’est en ce sens que nous voudrions laisser ouvertes les portes annoncées au début de ce texte : d’une part, en évoquant que le mystère de la nature « virale » peut être abordé par une approche anthroposophique qui vient compléter les descriptions de la science conventionnelle. Elle la complète avec des notions fonctionnelles et explicatives. D’autre part on peut y trouver le lien qui explicite des causalités structurelles de cette pandémie, là où une science d’orientation réductionniste ne peut pas les voir.
Sous cet éclairage holistique, nous avons dans d’autres articles analysé cette pandémie comme étant le résultat d’un dommage à la nature, à la planète et à la vie. Elle apparaît effectivement comme une des terribles conséquences des actions dévastatrices de l’être humain pendant l’ère industrielle, que nous abordons en termes d’anthropocène. Des chercheurs tels que Judith Buttler et de Danna Haraway[10] formulent également de tels éclairages, qui ouvrent des perspectives complémentaires à la seule lutte contre un virus.
Le virus ne devient ainsi que la pointe visible d’un iceberg dont nous avons beaucoup à apprendre.
[1] Hernando Salcedo Fidalgo est docteur en médecine et chirurgie en Colombie, sociologue et chercheur, coordinateur de la thématique nutrition de FIAN Colombie.
[2] Voir : P. Heusser, Les bases scientifiques de l’anthroposophie, aethera pour Triades S.A., Lamaro, 2019.
[3] Voir : https://es.wikipedia.org/wiki/Virus
[4] Nous avons voulu ici utiliser cette expression qui fut l’expression originaire chez Rudolf Steiner, qui donna ensuite naissance au terme « éthérique ».
[5] R. Steiner, Médicament et médecine à l’image de l’homme, Éditions Anthroposophiques Romandes, 2009.
[6] R. Steiner, Science terrestre et connaissance céleste, Éditions Anthroposophiques Romandes, 2011, p. 95 – 118.
[7] op. cit. p. 96.
[8] Voir : https://www.rsarchive.org/RelArtic/GrafJ/coronavirus.html
[9] La traduction française est nôtre.
[10] Voir : H. Salcedo Fidalgo, « La pandémie du coronavirus : une réflexion sur les régimes agro-industriels ou corporatistes », Observatoire International du droit à l’alimentation, 2020, https://www.righttofoodandnutrition.org/fr/la-pandemie-du-coronavirus-une-reflexion-critique-sur-les-regimes-agroindustriels-ou-corporatistes