Rendre la pensée vivante
Avec la modernité, l’intelligence rationnelle a permis de grands progrès. La rationalité a imprégné toute la civilisation et une grande partie de la vie spirituelle. Tout d’abord, sur le plan de la personne humaine, elle a permis à l’individu de s’émanciper de l’autorité spirituelle des religions. La raison individuelle, base de la liberté et de l’autonomie, fut une conquête sacrée. Sur le plan politique, elle a permis de surmonter les anciens systèmes théocratiques et aristocratiques pour parvenir à une société démocratique sur laquelle les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité peuvent briller. Sur le plan de la civilisation, elle a donné naissance à une science empirique et à un développement technologique inégalés, qui placent l’être humain dans un rapport tout à fait nouveau vis-à-vis de la nature et de lui-même. Ces développements constituent un progrès historique incontestable vers une humanité plus mature.
Ces acquisitions ont cependant jeté une ombre qui devient aujourd’hui toujours plus menaçante lorsqu’on observe les dérèglements de la nature, de la planète Terre, mais aussi de la vie sociale et de la vie économique contemporaine. L’excès de rationalisation, menant à une conception matérialiste réductionniste, engendre un déséquilibre potentiellement catastrophique. La situation exige aujourd’hui de retrouver une pensée vivante, holistique, qui intègre aussi la perception, le sentiment, la sensibilité et ouvre son champ d’exploration aux questions humaines et spirituelles : l’esprit humain doit pouvoir faire face à lui-même.
L’anthroposophie veut être un champ de recherche où la pensée, sans nier la rationalité, s’attelle aux questions spirituelles tout en intensifiant l’expérience sensorielle. Il est possible pour chacun de penser et d’approfondir les grandes questions spirituelles. Depuis l’Antiquité, la question centrale qui résonne pour l’être humain est celle du « connais-toi toi-même ». Une attitude purement objective et rationnelle donne le sentiment d’être isolé de la nature et du monde. Mais l’être humain est né de la nature ; il porte en lui des sentiments, des pensées et une sensibilité : la nature n’est-elle pas aussi habitée de pensée, de sensibilité et de vie intérieure, sous une forme qui doit être explorée ? Lorsque l’être humain cherche à se comprendre lui-même, il commence à se rendre compte qu’il n’est pas isolé de son environnement : quelque chose le relie à la nature.
L’être humain est doué de la faculté d’empathie. Il peut développer sa pensée et sa perception sensorielle pour explorer, par sa propre expérience, ces mondes intérieurs et extérieurs qui dépassent - sans pour autant l’abandonner - la seule rationalité. Par une démarche phénoménologique, basée sur une observation rigoureuse et empathique, une pensée vivante peut se développer qui appréhende la nature vivante là où la seule rationalité ne saisit que les mécanismes sans vie. C’est le message de l’anthroposophie. Elle mène ainsi à ce que des chercheurs ont appelé une « éco-alchimie » (Dan McKanan) ou une « écologie spirituelle » (Aurélie Choné). Cette pensée vivante doit être travaillée et développée par l’échange, l’étude, l’art, l’observation, l’exercice; c’est ce que la Société anthroposophique veut favoriser.
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