Liberté et responsabilité dans la crise Coronavirus
État d’urgence Corona : de l’usage abusif de la science
En cas d'urgence, l’État peut et doit faire passer les droits de la communauté avant ceux de l’individu. Mais qu’est-ce qu’une urgence ? Le fait d’aligner les réglementations de l’Etat sur le cas extrême d’une pandémie et d’accorder plus d’importance aux données que ce qu’elles sont, engendre de nouveaux dangers et porte atteinte à l’idée d’une société libre.
Science et Lumières
Dans presque toutes les démocraties occidentales (à l’exception de la Suède), l’état d'urgence a été déclaré explicitement ou de facto à la mi-mars 2020, avec une restriction massive de la liberté de mouvement et donc des droits fondamentaux. Depuis que nous vivons dans des États constitutionnels, un tel état d’urgence n’existe qu’en temps de guerre, lorsque la suspension des droits fondamentaux est justifiée par le cas de défense. Aujourd’hui, on justifie la restriction des droits fondamentaux par des connaissances scientifiques au sujet d’une menace générale pour la santé publique due à la propagation du virus Sars-CoV-2 ou, en abrégé, coronavirus. C’est évidemment quelque chose de très différent de la défense contre une attaque militaire. Il est donc nécessaire d’examiner de telles prétentions à la connaissance et de réfléchir au rôle qu’on fait jouer à la science pour justifier des mesures coercitives.
La science est là pour apporter des lumières. Mais il se peut aussi que des lumières soient nécessaires contre les prétentions à la connaissance de la science et leur utilisation politique. Depuis le XVIIIe siècle, les Lumières ont deux visages. L’un de ces visages est la libération de l’homme, exprimée par exemple dans la définition des Lumières par Emmanuel Kant comme « la sortie de l’homme de son immaturité auto-infligée ». L’autre visage est celui du scientisme avec l’idée que la connaissance scientifique est sans limites : elle inclut aussi l’homme et tous les aspects de notre existence. Alors que le souci de Kant est que les gens fassent usage de leur liberté pour prendre eux-mêmes leurs propres décisions réfléchies, le scientisme vise à ce que les connaissances scientifiques puissent dicter les décisions appropriées au niveau individuel et sociétal. C’est l’hybris de la science, la présomption de disposer de connaissances sur la manière de façonner la société – des connaissances qui justifieraient de faire fi de la liberté des individus pour réaliser un soi-disant bien commun ou éviter un soi-disant mal. C’est ce que nous expérimentons – de nouveau – aujourd’hui dans la crise du coronavirus.
Le dilemme du pouvoir de l’État
La justification du pouvoir de l’État par les Lumières pose un dilemme : d’un côté, le pouvoir de l’État est nécessaire pour garantir la liberté des individus et de leurs communautés sociales telles que les familles ; l’alternative serait l’anarchie et donc la règle du plus fort. D’autre part, le pouvoir de l’État ne peut être considéré comme étant limité par les individus dont il tire sa légitimité ; car cela reviendrait à placer le jugement des individus au-dessus de celui du pouvoir de l’État ; cela saperait le fondement de l’État en tant que garant contre l’arbitraire des individus. Ainsi, le fondement moderne du pouvoir de l’État en vue de la protection des citoyens contient en germe l’État total. Cela est déjà évident dans le “Léviathan” de Thomas Hobbes (1651).
Les exemples de ce dilemme fondamental sont nombreux : pour protéger efficacement l’individu contre la violence, le pouvoir de l’État devrait savoir à tout moment où se trouve chacun ; cela reviendrait cependant à un État policier total. Afin de protéger efficacement la santé de chaque individu contre une infection par des virus, le pouvoir étatique devrait contrôler le contact physique entre tous les individus, ce qui conduirait de nouveau à un État policier total. Il s’agit donc, d’une part, de donner à l’autorité de l’État suffisamment de pouvoir pour protéger efficacement les individus et leurs communautés, sans revendiquer, d’autre part, cette protection de manière absolue. Concrètement, si vous rendez absolue la protection contre l’infection par un virus, vous en appelez à un État total.
Depuis les “Deux traités du gouvernement civil” de John Locke (1689), la solution à ce problème consiste à postuler une autorité étatique qui est un État de droit : la loi est le même pour tous et sert à protéger la liberté de chaque individu. L’État constitutionnel est créé, en divisant le pouvoir de l’État en un pouvoir législatif, exécutif et judiciaire. Toutefois, cette solution ne peut pas résoudre le dilemme que je viens d’évoquer : tous, y compris les personnes éprises de liberté, doivent reconnaître que le pouvoir exécutif doit en fin de compte être sans limites. L’autorité de l’État ne peut remplir sa mission de protection des personnes que s’il dispose d’un pouvoir illimité en cas d’urgence et peut décider lui-même quand il s’agit d’une urgence. Le dilemme de l’État de droit est donc qu’il doit prévoir sa propre suspension en cas d’urgence et placer la décision de savoir si une urgence existe entre les mains de ceux qui ont le pouvoir de suspendre dans ce cas les droits fondamentaux.
Cela ouvre la possibilité d’abus. C’est ce que nous vivons actuellement. La propagation du coronavirus n’est pas un cas de défense ni un autre cas de mise en danger de la population dans son ensemble. C’est pourquoi les mesures actuelles créent un précédent inquiétant. Elles abaissent de manière irresponsable la barre pour l’état d’urgence. Il n’y a aucune preuve concluante que le coronavirus actuel est plus dangereux pour le grand public que d’autres vagues régulières d’infection, par exemple une vague particulièrement violente de virus de la grippe, qui constituent une menace pour les personnes à la santé fragile mais ne représentent pas une menace générale pour la santé. Si nous voulons nous protéger contre l’exposition à de tels virus, seul l’État total peut le faire, et cela en tant qu’institution permanente. C’est le danger qui réside dans la situation actuelle. Mon collègue philosophe Daniel von Wachter a montré comment même un profane peut se faire une opinion du danger ou non du virus Sars-CoV-2 (voir ici). Peter Sloterdijk a souligné que les sociétés occidentales sont en train d’imiter le totalitarisme chinois (dans Le Point du 18 mars 2020). Cependant, personne qui veut une société libre et ouverte ne peut recommander la Chine comme modèle : ce qu’il y en est de la liberté est devenu manifeste lors du massacre de 1989, qui se répéterait probablement exactement de la même manière aujourd’hui.
Du traitement des données
L’impression d’un risque général pour la santé dû au coronavirus est en partie due à une exploitation fallacieuse des données. Les données publiées sur le nombre de personnes infectées et leur évolution quotidienne ne sont pas significatives car le nombre de tests fluctue et ce sont principalement les personnes présentant des symptômes de la maladie qui sont testées. Pour pouvoir dire quelque chose sur la dangerosité générale du virus, il faudrait savoir combien de personnes sont infectées par le virus et ne développent aucun symptôme ou seulement des symptômes inoffensifs. Les données disponibles permettent de conclure que, dans la plupart des cas, l’infection est inoffensive. Seules les personnes présentant certaines maladies préexistantes - et cela en particulier lorsqu’elles ont plus de 70 ans - sont exposées à un risque significatif qu’une infection par le coronavirus puisse avoir des conséquences dangereuses, voire mettre leur vie en danger.
C’est pourquoi les chiffres concernant les décès sont également trompeurs. Le nombre des personnes décédées « et » testées positives au coronavirus ne dit pas si oui ou non elles sont décédées « parce qu »’elles ont été infectées par le virus. Si la grande majorité des décès concerne des personnes souffrant de graves affections préexistantes, alors le coronavirus n’était que le déclencheur du décès - même s’il est prématuré - mais pas la cause. Les morts du coronavirus ne sont que les personnes qui, par ailleurs en bonne santé, sont infectées par le coronavirus et décèdent.
Il existe en effet des vagues de maladies qui sont mortelles pour de larges pans de la population, quel que soit leur état antérieur de santé, comme la peste au Moyen Âge ou la grippe espagnole de 1918 à 1920. C’est pour ces cas que la possibilité de déclarer l’état d’urgence en raison d’une épidémie est prévue. La propagation du coronavirus est fondamentalement différente de cela. Sur la base de données, on invoque ici un danger général qui ne découle pas de ces données. Par conséquent, les mesures coercitives constituent un abus des pouvoirs de l’Etat destinés aux cas d’urgence.
Des études scientifiques à l’action politique
Comment cette réaction politique est-elle née ? Les gouvernements britannique et américain ont abandonné leur réticence après qu’une étude menée par des chercheurs de l’Imperial College de Londres avait prédit 250 000 décès et l’effondrement du système de santé pour le Royaume-Uni (et l’équivalent pour les États-Unis) le 16 mars 2020, à moins que le gouvernement ne s’oriente vers une politique de mesures coercitives pour réprimer la propagation du coronavirus. Ce pronostic ne constitue toutefois pas une connaissance scientifique de ce qui se passerait si ces mesures coercitives n’étaient pas mises en œuvre.
Des prévisions fiables ne peuvent être faites que pour des systèmes soumis à des lois déterministes, où toutes les influences extérieures peuvent être négligées et où de petites fluctuations des valeurs initiales n’ont pas d’impact majeur sur le comportement dans le futur. En physique, ces conditions sont par exemple remplies lors du calcul de la trajectoire d’une pierre tombant sur la terre. Mais déjà le simple fait de lancer une pièce de monnaie ne permet pas de prédire si elle atterrira sur le côté pile ou le côté face : la moindre variation dans les conditions initiales change complètement le résultat. Dès qu’il s’agit des humains et de leurs interactions sociales, aucune des trois conditions n’est remplie : il n’y a pas de lois déterministes, des influences extérieures modifient les comportements, et des fluctuations minimes des conditions initiales entraînent de grandes différences dans les résultats. Plus encore : les hommes adaptent leur comportement aux conditions changeantes. Il est impossible de prévoir quelle sera cette adaptation. Les pronostics ne sont pas sans valeur dans de tels cas. Ils montrent des scénarios futurs possibles qu’il convient d’inclure dans les réflexions sur les actions à mener. Mais il ne faut pas les confondre avec des vérités que la science a découvertes.
Le cas particulier des prévisions de taux de mortalité et de l’effondrement du système de santé, avec la recommandation de suspendre des droits fondamentaux afin de réprimer la propagation du coronavirus, présente tous ces défauts. Premièrement, à la mi-mars, il n’y avait pas de données disponibles permettant de fixer des valeurs initiales fiables pour les paramètres utilisés dans le modèle de calcul en question. Ce manque de données a été souligné par l’épidémiologiste et spécialiste des données John Ioannidis de l’Université de Stanford. En outre, les personnes pour lesquelles l’infection par le coronavirus peut avoir des conséquences mortelles se protègent elles-mêmes, et la solidarité dans la société consiste à protéger ces personnes. L’étude de l’Imperial College est pessimiste quant au succès d’une protection ciblée dans la société de ceux qui sont menacés par le virus. Toutefois, ce pessimisme n’a aucune justification valable.
Lorsqu’une vague d’infection déferle et menace un groupe particulier de personnes, les alternatives ne sont pas de ne rien faire du tout ou de prendre la menace pour absolue et de concentrer toutes les actions pour l’éviter, quels que soient les dommages qui en résultent. Dans ce cas précis, les alternatives étaient soit de protéger de façon ciblée - et avec leur consentement - les personnes pour lesquelles l’infection par le virus présente un risque grave pour la santé, soit de déclarer l’état d’urgence et d’orienter toutes les actions contre la propagation du virus. C’est un abus de l’usage de la science que de suggérer qu’il existe des connaissances sûres contre la première et pour la seconde comme seule ligne de conduite raisonnable. La seconde alternative, que nos gouvernements ont adoptée avec le soutien d’une grande partie des médias et de la science, n’offre pas de solution : utiliser tous les moyens pour réprimer la propagation d’un virus empêche précisément l’immunité contre le virus de se développer. Il reste donc avec nous, et cela en tant que menace constante pour les personnes pour qui il représente un danger pour la santé. Nous courons le risque d’être pris dans une spirale qui conduit à toujours plus de restrictions des droits fondamentaux : l’étape suivante consisterait à surveiller les mouvements de toutes les personnes au moyen d’une application Corona et d’un stockage central des données. Et l’étape d’après serait la vaccination obligatoire. Et cela, alors que selon les recherches du professeur Kuhbandner de l’Université de Ratisbonne, les données désormais disponibles indiquent que la vague d’infections avait déjà atteint un sommet, de sorte que l’augmentation des infections était de toute façon sur le point de diminuer lorsque les mesures coercitives ont été introduites.
Plus encore, on savait dès le départ que les mesures coercitives risquaient d’entraîner un plus grand nombre de décès que les décès dus au Coronavirus ne le feraient même en vertu des prédictions pessimistes. Cependant, ces décès ne surviennent pas d’un seul coup et sous les feux des médias, mais sur plusieurs années et en silence. Quelques indices :
Le fait d’obliger les gens à rester chez eux, de les empêcher de faire de l’exercice au grand air et d’avoir des contacts sociaux nuit à la santé et affaiblit le système immunitaire.
Concentrer le système de santé uniquement sur la lutte contre la propagation d’un virus conduit à des décès en raison de la négligence d’autres traitements.
La profonde récession économique, qui a été délibérément provoquée, entraînera des centaines de milliers de décès supplémentaires au cours des prochaines années. Par exemple, la récession de 2008-09 a entraîné, selon les estimations, 260 000 décès supplémentaires dus au cancer dans les pays de l’OCDE.
En provoquant délibérément une profonde récession, la pauvreté des plus faibles socialement va à nouveau augmenter, avec les décès qui en découlent, en particulier dans les pays en développement.
Le fait de rendre absolu un aspect de la fonction protectrice de l’État dans l’action politique entraîne des dommages plus importants que ceux qui pourraient être causés par le danger en question. L’urgence Coronavirus s’est avérée être une erreur d’action politique, non seulement au regard du droit constitutionnel, mais aussi au regard d’un pur équilibre bénéfices/dommages qui ne prend en compte que le nombre de morts.
Un impératif de responsabilité malavisé
Comment se fait-il que toutes ces considérations aient été ignorées ? En 1979, le philosophe germano-américain Hans Jonas a publié un livre intitulé “Le principe de responsabilité. Tentative d’une éthique pour la civilisation technologique”. Le titre de l’édition anglaise de 1984 exprime mieux ce dont il s’agit : “The imperative of responsibility”. L’impératif de responsabilité de Jonas est que la science privilégie consciemment les données et les modèles qui mettent en évidence des scénarios pessimistes et que la société et la politique prennent des mesures pour empêcher que ces scénarios ne se produisent. Cet impératif a façonné toute une génération de scientifiques et de leaders sociaux.
Aujourd’hui, nous devons cependant constater qu’il en résulte un impératif de responsabilité malavisé : il n’est pas responsable de prendre pour absolus les scénarios potentiels pessimistes, comme s’il s’agissait de connaissances scientifiques concernant l’avenir, et d’orienter toutes les actions gouvernementales et sociales pour prévenir l’apparition de ces scénarios. Le préjudice ainsi causé est en tout cas plus important que le préjudice qui peut être évité en agissant de cette sorte.
Lorsque le mur de Berlin est tombé en 1989, la situation non seulement en Europe mais aussi dans de grandes parties du monde, à l’exception de la Chine, semblait indiquer que le modèle de société libre et ouverte allait définitivement s’établir et laisser derrière lui le totalitarisme qui avait sévit dans de grandes parties du monde au XXe siècle. Aujourd’hui, nous savons que cet espoir était prématuré. Depuis une dizaine d’années, nous assistons au retour de l’État répressif de manière lente et à peine perçue. Il y a d’abord eu la crise financière, qui a entraîné une répression financière sous la forme de l’abolition de la libre formation des prix sur le marché dans de nombreux domaines, notamment les taux d’intérêt, sauvant les grands acteurs financiers et les États surendettés des conséquences de leurs actes, mais privant les petits épargnants des fruits de leur épargne et de leurs perspectives de retraite. Puis la crise climatique est passée dans la conscience du public. Il en a toutefois résulté une répression économique sous forme d’une économie planifiée par l’État, avec des réglementations et des subventions, au lieu que soit fixé un cadre général qui tienne compte des conséquences de la consommation des ressources naturelles d’une manière qui s’applique de la même façon à tous les acteurs et à toutes les activités, laissant ainsi la place au développement de la créativité pour relever les défis. Enfin, à présent, la crise du coronavirus avec la répression des droits fondamentaux.
Ce qui est effrayant, c’est le modèle d’un comportement consistant à répondre à chaque nouveau défi par une planification étatique, comme si l’autorité étatique avait une connaissance privilégiée de la meilleure façon de relever chaque défi. Ici, la science menace d’assumer un rôle similaire à celui de la religion d’État au début de l’ère moderne, à savoir celui de justifier la répression. Contre cela, il fallait et faut des connaissances éclairées. Sinon, on court le risque d’aller vers un Etat total et donc vers le plus grand dommage possible.
L’impératif de la liberté
La restriction des droits fondamentaux ne dure que tant qu’elle est acceptée dans la société - à moins qu’elle ne soit imposée par la violence nue d’un État policier ou, plus subtilement, par l’endoctrinement dans les médias lorsqu’ils n’offrent plus de place pour le pluralisme et l’échange d’arguments différents, afin que chacun puisse se forger une opinion. C’est pourquoi une société libre et ouverte est si importante : c’est la seule façon de sortir du dilemme que l’État de droit ne peut résoudre en créant la possibilité de sa propre suspension par des décrets d’urgence.
Cette prise de conscience est fondamentale pour une société libre et ouverte : aucun individu, aucun groupe et aucune institution ne possèdent de connaissances qui permettraient de réaliser un bien commun ou d’éviter le mal par une planification étatique centrale de la société, de l’économie et du mode de vie des individus. Dans les années 1940, Karl Popper dans La société ouverte et ses ennemies, et Friedrich von Hayek dans “La route de la servitude”, ont montré comment l’utilisation des méthodes des sciences naturelles dans les sciences sociales pour planifier la société comme un système physique délimité pouvant être contrôlé par des expériences en laboratoire constitue un abus de ces méthodes.
À la base il y a l’erreur de jugement déjà présente dans certaines parties des Lumières avec le scientisme qui consiste à penser que les êtres humains et leurs interactions peuvent être traités comme des objets matériels et leurs comportements. Des lois universelles de la physique, des mécanismes génétiques et neurobiologiques qui influencent notre comportement, on tire dans certaines parties de la science et au-delà la fausse conclusion que nous n’avons aucune liberté. Des lumières sont nécessaires pour contrer une telle utilisation abusive des connaissances scientifiques : la liberté de pensée et d’action est la condition de base même pour pouvoir développer le langage avec lequel les théories scientifiques peuvent être formulées, justifiées et testées dans des expériences de laboratoire. Aujourd’hui, l’utilisation abusive de la science va encore plus loin, par l’utilisation abusive des données et des modèles des sciences de la nature elles-mêmes pour justifier la répression par l’État motivée par un impératif de responsabilité malavisé, qui consiste à prendre pour absolus des dangers potentiels et à utiliser la planification centrale de la société pour éviter ces dangers, ouvrant ainsi la voie à l’État total.
L’impératif de responsabilité est un impératif de liberté.
L’autorité de l'État se justifie uniquement par le fait qu’elle seule peut fixer le cadre dans lequel la liberté des individus peut s’épanouir. Ce cadre comprend une sécurité sociale pour tous et des conditions permettant de restreindre l’utilisation des ressources naturelles dans l’intérêt de la liberté d’action des autres, y compris des générations futures. Mais cela inclut également le fait qu’il ne peut y avoir de protection absolue du corps, de la vie, de la santé, de la propriété par l’autorité de l'État ; car cela nécessiterait l’État absolu et donc la suppression de la liberté. La dignité de tout être humain consiste en sa liberté et sa responsabilité pour ses propres actes. On anéantit cette dignité lorsque l’on traite les personnes et leur espace de liberté comme des objets sous la guidance de l’État, quel que soit le but de cette guidance.
Michael Esfeld est professeur de philosophie à l’Université de Lausanne. Il a publié sur la philosophie de la physique, la philosophie naturelle et plus récemment sur la question des sciences naturelles et de la liberté (dernier livre en français : Sciences et liberté. L’image scientifique du monde et le statut des personnes, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2020). Il a reçu le prix de la recherche de la Fondation Alexander von Humboldt ainsi que le prix de la Fondation Cogito pour le dialogue entre les sciences naturelles et les sciences humaines.