Société anthroposophique en France

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Communiqué en réponse au Monde Diplomatique

Suite à l’article de Jean-Baptiste Malet paru dans Le Monde diplomatique de juillet 2018, intitulé « L’anthroposophie, discrète multinationale de l’ésotérisme », nous avons envisagé l’utilisation d’un droit de réponse à l’adresse de la rédaction de ce journal. Pour des raisons de légitimité d’ordre strictement juridique, cette procédure n’a pas pu aboutir. Nous publions ici le texte envisagé pour cette réponse.

La Société anthroposophique en France considère que l’article de Jean-Baptiste Malet paru dans Le Monde diplomatique de juillet 2018, intitulé « L’anthroposophie, discrète multinationale de l’ésotérisme », est une caricature mal fondée en ce qu’il a cherché à rapprocher l’anthroposophie des idées d’extrême droite et la présenter comme une superstition sans base philosophique ni résultats scientifiques mesurables. Elle récuse les interprétations orientées prêtées à l’anthroposophie et au mouvement anthroposophique.

L’OBSCURANTISME DE L’ANTHROPOSOPHIE ?

Anthroposophie ne désigne pas une organisation, mais une démarche de connaissance individuelle qui désigne une méthode de recherche expérimentale. L’anthroposophie n’est pas une doctrine, mais une méthode. Cette méthode reconnaît la valeur des sciences académiques, mais considère qu’elles peuvent être complétées par une science de l’esprit. Ses bases méthodologiques et ses travaux sont publics et accessibles à tous. Cette méthodologie de recherche prend l’expérience intérieure tout autant au sérieux que le monde appréhendé par nos sens. Cette orientation est souvent perçue comme une transgression aberrante, et dénoncée comme une pseudoscience, une religion, une rétrogradation vers l’obscurantisme. Or, ce dépassement ne renie en rien les acquis scientifiques contemporains. L’argumentation critique devrait ici se placer sur le terrain de la pensée et de l’expérience, non de la croyance.

La Société anthroposophique, elle, est une association publique, ouverte à toutes convictions philosophiques, politiques ou religieuses. On y adhère librement sur simple demande.

La juxtaposition des termes inappropriés « adepte, psalmodie, rituels, New Age, pouvoirs surnaturels, liturgie, péchés, contre-culture, panthéiste, puritaine, réseaux, empire… » crée une caricature de nature à effrayer. Les illustrations de l’article suggèrent des illuminations de masse et des pratiques spirites qui n’ont rien à voir avec l’anthroposophie.

EMPIRE, MULTINATIONALE ?

Les sympathisants de l’anthroposophie ne forment pas un bloc homogène, ni dans leurs idées, ni dans leurs projets. L’anthroposophie s’enracine dans un individualisme philosophique qui favorise la diversité. Il n’y a donc pas de holding internationale de l’Anthroposophie assoiffée de profits, comme le suggère l’article !

Les réalisations de certaines idées développées par Steiner (pédagogie, biodynamie, laboratoires, médecine, établissements bancaires coopératifs, etc.) sont néanmoins indépendantes les unes des autres sur tous les plans. Elles n’ont aucun lien d’obligation entre elles ni envers les Sociétés anthroposophiques des pays. Elles travaillent avec les pouvoirs publics et tous acteurs culturels, économiques ou sociaux. La plupart, portées par des personnes engagées, sont le contraire d’une “bonne affaire”. Leurs publications et sites respectifs permettront à chacun de juger par lui-même à leurs sources.

Le mouvement anthroposophique, même avec ses insuffisances, se veut ouvert. Fondé sur l’individualisme, il respecte les différences pour contribuer à un avenir commun et pluriel.

LA QUESTION DU “RACISME”

L’utilisation tendancieuse d’extraits de conférences de Steiner pour en détourner le sens est une pratique récurrente. Ce sont le plus souvent des bribes de propos retranscrites approximativement, non revues par l’auteur, sorties de leur contexte. Or les livres fondamentaux, l’action sociale et culturelle de Steiner, révèlent une intention véritable aux antipodes de toute discrimination (voir Stefan Leber, La question des races dans l’œuvre de Rudolf Steiner, Triades, 2011 ; Uwe Werner, Individualité et race chez Rudolf Steiner. Son engagement contre le racisme et nationalisme, Triades, 2012).

Des recherches sérieuses (Anthroposophie et la question des races, Info3 Verlag, 1998 (non traduit) sous l’autorité de l’avocat de droit international Ted A. van Baarda) sur le sujet des races mettent en évidence que ses déclarations à propos des « races » sont datées et qu’elles ne peuvent être considérés comme l’expression de sa pensée.

A ceux qui voudraient déceler chez Steiner le fond d’une idéologie raciste, nous déclarons que pour nous le racisme est irrecevable, fondamentalement incompatible avec l’anthroposophie.

Sur tous les continents, indifféremment des ethnies, des religions et des cultures, des individus se rassemblent pour collaborer et mettre en œuvre des impulsions indépendantes et novatrices, souvent précaires : dans les townships en Afrique du Sud, les favelas en Amérique du Sud, en Inde, en Égypte, en Chine…

LA QUESTION DU NAZISME

L’hypothèse d’une porosité entre les idées anthroposophiques et la doctrine national-socialiste a fait l’objet d’études approfondies. Il en ressort que :

  • une connaissance générale et approfondie de l’œuvre de Rudolf Steiner révèle une orientation diamétralement opposée aux thèses du nazisme ;

  • Steiner avait dès 1922, perçu et dénoncé à ses dépens les dangers de cette idéologie montante ;

  • d’un simple point de vue numérique, le nombre de cas problématiques, certes déplorables, n’est pas significatif.

Des individus isolés se réclamant de l’anthroposophie se sont certes compromis dans une proximité avec le régime national-socialiste et ses idées. La Société anthroposophique déplore ces rapprochements, les réprouve fermement et sans ambiguïté. L’anthroposophie bien comprise s’oppose radicalement aux idéologies rétrogrades du racisme et du repli national.

Rappelons que dès le 1er novembre 1935, ces incompatibilités intrinsèques ont conduit à l’interdiction de la Société anthroposophique par la Gestapo Prusse, signée par Heydrich, précisant que le danger existe que la poursuite des activités de la Société anthroposophique nuise aux intérêts de l’État national-socialiste. L’organisation doit donc être dissoute. (Réf.: Bundesarchiv Koblenz BAK R 43 II/82).

LA GERMINATION D’UNE CONTRE-SOCIETE ?

Dans une Europe dévastée par la Première Guerre mondiale, Steiner proposa un élargissement des concepts d’organisation sociale, avec l’idée d’une « tri-articulation » se référant aux idéaux de la Révolution Française: la liberté dans la vie culturelle, l’égalité dans la vie juridique, et la fraternité dans la vie économique.

Le terme de “contre-société” utilisé arbitrairement dans l’article incriminé est donc totalement inapproprié pour décrire cette vision qui vise à libérer les forces créatives de la société et dompter les pouvoirs économiques, à l’opposé d’un système totalitaire. Steiner, et ceux qui s’en inspirent, n’ont jamais imaginé construire une société parallèle isolée du reste de l’humanité. Les fondations les plus anciennes sont désormais centenaires. Comme toute entreprise humaine, elles ont souffert et souffrent encore de bien des imperfections. Ces initiatives tentent partout de répondre chacune à sa manière aux besoins de la condition humaine. Cette expansion n’a rien à voir avec une prétendue stratégie d’infiltration ou d’un prosélytisme de basse intensité.

L’anthroposophie saisie par les hommes n’échappe pas au risque de postures dogmatiques. Le défi assumé pour le mouvement anthroposophique est de contribuer à répondre concrètement aux besoins de notre monde, fondé sur la dignité de l’être humain. Elle fait débat et c’est tant mieux. Cela est sain. Cependant, elle ne correspond pas à la caricature dressée par l’article du Monde Diplomatique, elle est tout à fait ouverte à la critique et à la controverse. Elle mérite un débat qui soit à sa hauteur.

Le Comité de la Société anthroposophique en France, 8 octobre 2018


D’autres articles sont parus depuis sur des sites d’institutions indépendantes mais également visées et amalgamées pour permettre à J.B. Malet d’étayer sa thèse. 
En outre, nous conseillons vivement la lecture d’autres articles dénonçant le même procédé utilisé par ce journaliste à l’encontre de Pierre Rabhi : 
Fabrice Nicolino : En défense de mon ami Pierre Rabhi (une suite nécessaire) 
Marie-Monique Robin : L’attaque du Monde Diplo contre Pierre Rabhi et la biodynamie 
Gavroche, sur Médiapart : Pierre Rabhi, le colibri